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La faute... Nouvelle de septembre

2 Septembre 2009, 06:44am

Publié par Actu.Saint-Bénigne

 

La lourde porte, usée par le temps, laissait passer la lumière. La clarté n'atteignait pas le fond de la cellule. Au fond, il y avait le trou. Au besoin, Calès s'en approchait en tendant le pied, à tâtons, jusqu'à en toucher le bord. Le couvercle de bois qui l’obturait avait disparu, laissant l'odeur fétide de la fosse gagner le réduit.
Le prisonnier avait serré la paillasse près de l'entrée. Couché, la tête contre la porte, il respirait l'air frais entrant par le bas.

La porte s'ouvrit. Fermant les yeux sous la lumière crue, Calès entendit la voix de l'un de ses geôliers. "Allez, on y va". Il s'y était habitué. Ils étaient trois.
Deux fois par jour ils le tiraient de sa cellule pour l'emmener sur le "parcours du combattant". 800 mètres d'obstacles à franchir qu'ils lui faisaient parcourir toujours plus vite, sous les insultes. Parfois, plusieurs fois de suite. Calès enfila le pantalon sans ceinture dont on l'avait affublé. Celui-ci, tombant régulièrement sur ses cuisses, entravait ses mouvements. Il avait pris l'habitude de se mettre en slip pour être plus à l'aise. C’est ce qu'il fit en arrivant sur le parcours. Deux autres gardes chiourmes attendaient le groupe. Calès pris le sac rempli de sable que l’un deux lui tendit et l’ajusta sur ses épaules. Une frappe dans le dos lui donna le signal du départ. Laissant ses godillots sans lacet, il partit pieds nus, sa veste de treillis battant ses flancs nus.

La fosse, un trou de 2 mètres de fond dont il se sortait d’un rebond, la planche haute de plus de 2 mètres qu’il franchissait comme une barre fixe, ramper sous la grille, franchir le mur, grimper l’échelle de corde, le filet, sauter, courir sur le "casse-pattes", filer sur la poutre... Calès connaissait tous les pièges. L'attendant sur chaque obstacle les autres lui hurlaient dessus. "Plus vite salopard. On aura ta peau… Plus vite…"

Il les entendait à peine. Leur but était évident. Casser sa volonté. En faire une chose.

Au fond, il préférait cela à l'enfermement. Ce parcours c'était pour lui, un jeu. Une grande bouffée d’air. Comme une compétition, renouvelée chaque jour. Le corps formé par des années de pratique sportive, il ne souffrait guère de cette punition. Aucune plainte ne franchit jamais ses lèvres. Les aboyeurs se fatiguaient toujours avant lui.

Au fil du temps deux d’entre eux lui témoignèrent de la sympathie. Pas directement, ils ne pouvaient se compromettre. Mais ils n’aboyaient plus, se contentant d’un « Allez ! C’est bon… Allez ». La gamelle qu’ils lui portaient, lorsqu’ils étaient de garde devant les cellules, devint plus lourde …

 

"C'est bien vous qui avez écrit cela ?" La voix du chef de corps cinglait comme la lame d'une épée.

Les yeux écarquillés Calès venait de reconnaître le papier posé sur le bureau du commandant. Il lui fallait comprendre, et vite, comment il était arrivé là.

En permission de spectacle, il s'était promené en ville trois jours plus tôt avec quatre de ses camarades de chambrée. Au fond d'un bistrot ils avaient évoqué la guerre pour laquelle on les préparait, le colonialisme, ses injustices et leur propre soumission à la politique impérialiste de leur pays... Depuis longtemps déjà, lors des veillées, Calès s’enflammait sur ce sujet. "On devrait se révolter" dit quelqu'un. "Tu pourrais pas nous écrire quelque chose Calès ?" 

Calès écrivait toujours. Des lettres aux parents pour quelques-uns de ses copains ou des missives pour les sous-officiers africains fâchés avec la langue de Molière...

Alors il écrivit. Calès mit en mots la pensée de ses copains et surtout la sienne. Des tirades sur l’égalité des hommes, contre le racisme, l’oppression armée… Tout le monde salua la prose. Puis ils se levèrent. Quelqu'un enfouit le pamphlet dans sa poche. Calès n'y prêta pas attention…


"Alors !!". Toujours cette voix...

"Oui, mais je n'étais pas seul" avoua-t-il.

"Qui !".

"Oui, qui ?", se demandait Calès, "Qui l'avait dénoncé ? Comment ? Pourquoi ?"

Dénoncer à son tour ? Non. Mille fois non.

"Je voulais dire, je n’étais pas seul au moment où je l'ai écrit".

"Et vous avez poussé l’insolence jusqu’à l'afficher en salle de police !"

"Heu, mais non !"

Tout s'éclaira soudain. Ils étaient passés par la salle de police à leur retour pour saluer les copains de garde ce soir-là. L'ami qui avait empoché la lettre l'aura placardée-là sans penser aux conséquences !

Il y avait eu une enquête. Ses propos précédents confirmant l’écrit, on était arrivé rapidement jusqu'à lui.

Calès n'eut pas le temps de revoir ses compagnons, de savoir qui ? Il fut emmené manu-militari vers sa cellule…

 

« Je suis votre avocat ».

Au treizième jour on avait tiré Calès de son cachot pour l’amener dans un bureau, devant un tout jeune officier.

« Mon avocat ? ».

« Oui, au tribunal militaire je serai votre avocat ».

Calès était abasourdi. Le tribunal militaire…

« Que va-t-il se passer ? ».

« S’ils considèrent qu’il y a trahison, cela peut aller très loin. S’ils ne retiennent que le chef de menée subversive, atteinte au moral et à l’intégrité de l’armée ou quelque chose comme ça, ça peut faire deux ans ».

Calès avait 20 ans. Deux ans sans revoir sa famille, son métier, ses amis. Il avait une fiancée, elle ne l’attendrait pas…

« En sortant de prison, précisa l’officier, vous aurez le reste de la durée légale de votre service militaire à accomplir ».

« Quatre ans et demi ! » pensa Calès soudain pris de frissons. « Fini de jouer ! ».

« Me reste-il une chance ? »

« Pas sûr du tout que cela marche, ni que cela vous plaise. Je vous le dis tout de même. Ecrivez, cela vous saurez le faire, que vous n’aviez pas compris le rôle de la France et de son armée. Dites que vous regrettez et portez-vous volontaire pour aller là-bas. Ajoutez que vous voulez être incorporé dans une unité opérationnelle, genre commando afin de mieux participer à l’effort militaire. Je plaiderai. Cela passera plus facilement ».

« Rien que ça ? » 

« Vous n’avez guère le choix !»

« Alors allons-y ! »

Le jeune officier lui fit signer les pièces. Calès pensa que c’était un appelé, comme lui. Il se leva pour regagner sa cellule.

« Calès ! » le lieutenant hésita un instant : « Je ne peux pas vous dire que je partage votre opinion sur cette guerre. Mais je vous dis bonne chance. Sincèrement, bonne chance ».
Calès se sentit soudain moins seul.

Douze jours plus tard, il débarquait à Alger.




                         Extrait de "Mémoire de moi"
                         Alged Dépôt légal

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