Nouvelle de juillet : Mat au collège
"Baissez ce regard jeune insolent !"
C'était l'automne, en 1949. Mat venait de rendre une copie vierge.
Il n'était pas sûr d'avoir compris la question. Il avait essayé
d'obtenir des précisions mais le professeur l'avait humilié "Si vous ne comprenez pas cela, c’est que vous n'êtes pas fait pour les études !".
A l'interrogation du prof, lorsqu'il lui rendit sa copie blanche,
Mat fit écho à sa propre réflexion quand, une heure plus tôt, il lui avait demandé de l'aide. "M'sieu, si vous ne comprenez pas pourquoi, peut-être que vous n'êtes pas
fait...".
La gifle faillit le renverser mais Mat qui avait prévu le geste l’avait accompagné. Il savait, dès le
début du cours, que cela se passerait ainsi. C'était comme une force ancrée en lui, supérieure à sa volonté. Ce prof l'avait rejeté, il devait lui rendre la monnaie de sa
pièce. Songeur, il se laissa porter par ses souvenirs. Des images, des choses entrevues, entendues quelques années auparavant. Des choses pas toujours très belles que, tout petit enfant errant dans les couloirs pendant que sa mère, femme de ménage, s’échinait au travail, il avait observées, enregistrées. Des choses qui se sont parfois déroulées sous ses yeux, comme s’il n’existait pas. Ou bien observées lorsqu’il se cachait dans les recoins, fuyant la brutalité des grands élèves qui, se ruant au dehors à la fin des cours, passaient souvent tout contre lui, le bousculaient, le renversaient. Pour eux non plus, il n’existait pas. Il n’était au fond que le moutard de la femme de ménage. Il n’y avait finalement pas si longtemps…
… Mat était accroupi dans l’obscurité. Un mince filet de lumière filtré par la serrure de la porte éclairait le fond de son réduit. Sa position inconfortable lui pesait. La tête repliée sur les genoux, il ne pouvait bouger. Le bord de la petite étagère que l’on avait enlevée et plaquée sur le côté pour le faire entrer dans le casier lui blessait le dos. Depuis combien de temps était-il là. Pourquoi l’y avait-on mis ? Il entendait des voix à travers la mince paroi de bois. Une voix d’adulte qu’il croyait reconnaître, faisait écho à celles d’adolescents. Il parvint, après de multiples contorsions, à approcher un œil de la serrure. Il ne vit qu’un morceau de tissus. Mat en eut bientôt assez. Il tenta de pousser la porte. Elle resta bloquée. Et si on l’oubliait ? Si on le laissait enfermé là, jusqu’à l’étouffement ? Il se mit à crier, à taper. La porte s’ouvrit d’un seul coup. Il fut tiré au dehors et se retrouva, minuscule, piqué sur ses pieds entre deux rangées de tables occupées par de grands élèves hilares. Les yeux clignant sous la lumière crue, il se protégea des deux mains. « Qu’est-ce que … » Il y eut un bruit de chaise repoussée brutalement. Un pas rapide gagnant l’allée, jusqu’à lui. « Qu’est-ce c’est que ça ? ». Deux énormes doigts se saisirent de son oreille gauche. Il se senti tiré vers l’avant. Par son oreille. Les larmes aux yeux, il se mit à courir cherchant à diminuer la traction pour en atténuer la douleur. Mais la main tirait toujours plus fort, toujours plus vite. Ses petites jambes n’arrivaient plus à suivre. Il se retrouva dans un couloir, devant sa mère laquelle, lâchant balais et serpillière, se précipita pour l’enlacer. Il y eut un vif échange entre la mère et l’homme. Celle-ci l’affronta d’abord, lui rappela qu’il n’était pas le modèle qu’il prétendait être. Mat ne comprenait pas tout. Puis la mère se tut, humiliée « Je comprends, excusez-moi ». Mat, lui, n’y comprenait rien. Pourquoi s’excusait-elle ? Il avait tout juste quatre ans. Il était venu chercher sa maman, quand un grand garçon l’avait soulevé de terre et l’avait emmené. Il ne savait plus où. Dans ce réduit noir où il était si mal…
Rassuré par les bras de sa mère qui le serrait
contre elle, l’enfant fixa l’homme comme pour graver dans sa mémoire le visage de sa douleur, encore intense. Il le reconnu soudain. Un souvenir, une image… Oui, il en était sûr
maintenant, c’était bien ce même homme... Mat ne devait plus l’oublier. |
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