Au bord du fleuve (nouvelle d'avril)
L'enfant au bord du fleuve |
Juin 1948. Les berges du fleuve étaient recouvertes de sable. De minuscules coquillages, des coquilles vides y étaient mêlés. Mat en remplissait ses mains et, laissant filtrer le sable entre ses doigts, recueillait les coquilles dont il faisait un tas sur la plage.
Sa tante Suzette et sa maman s'étaient installées à une dizaine de mètres du bord l’eau, là où l’herbe
naissante offrait un peu de confort. Elles avaient étendu une couver Mat avait 9 ans. Il entra dans la rivière. L’eau était claire et l'on en apercevait le fond sableux sur lequel de minuscules poissons frétillaient en tous sens. Le garçon s'avança, s'enfonça lentement dans l’eau du fleuve. Elle était peu profonde à cet endroit. Une barrière de joncs, foisonnait devant lui jusqu'aux limites du chenal. Les pêcheurs en avait coupé une partie pour dégager la plage. Dans la trouée, Mat apercevait l'autre rive. A quelques dizaines de mètres de la berge, une barque était ancrée. Mat y distinguait plus qu'il ne voyait car la distance atteignait bien 250 mètres, un pêcheur assis à son bord.
C'était son père. « Arrête-toi, ne va pas plus loin » lui rappela sa mère. « Oui… M’man ». « Qu’est-ce qu’elle croit » pensait Mat. « J’suis pas comme elle, j’sais nager, moi ». Il avait appris en effet. Son père, excellent nageur, lui avait enseigné quelques rudiments mais il était alors trop jeune pour en faire son profit. Son expérience, il l’avait faite avec des gamins de son âge lorsque, petits bergers, ils gardaient ensemble les troupeaux pendant les vacances d’été. C’était près de la ferme de son grand-père. Une rivière, bien moins large que ce fleuve, irriguait les prairies. Ses bords étaient abrupts. Les enfants y plongeaient, insouciants. Imitant les petits chiens, ils pédalaient des bras et des jambes pour revenir sur la berge. Mat, qui pratiquait aussi la gymnastique, s’appliquait pour sa part à nager correctement. Les conseils de son père lui revenaient en mémoire. Bien qu’étant le plus petit, il était rapidement devenu le plus habile... Rejoindre son père sur l’autre rive… L’idée était tentante… Mat devinait que la traversée du fleuve relevait d’un tout autre défi que de nager d’un bord à l’autre de la rivière des prairies. Du haut de sa petite taille il en mesurait l’immensité. Tiendrait-t-il jusqu’au bout ? Il décida, pour préserver ses forces, de fabriquer une bouée de joncs. La chose était connue de tous les gamins des prairies. Il entreprit d’en assembler quelques brassées. Sa mère, habituée aux frasques de son fils l’interpella aussitôt « Qu’est-ce que tu comptes faire ? Tu restes ici, près de nous ! » « Mais oui, m’man ». Ne pas éveiller ses soupçons !
Il n’assembla que quelques joncs pour jouer sur le bord. L’occasion lui fut donnée lorsque les deux femmes, penchées sur le berceau de sa sœur, enfin réveillée, l’oublièrent un
instant. |
Mat glissa dans le cours du fleu Son fagot de joncs était bien trop petit. Il le portait à peine et il lui fallait faire davantage d’efforts pour avancer. Il regretta de ne pas l’avoir renforcé avant de partir. Mais il devait faire vite, alors…
Ces longues péniches qui descendent et remontent le fleuve, créant des tourbillons et soulevant d’énormes vagues. Il était trop loin du bord pour renoncer. Il eut un instant de panique. Qu’était-il venu faire là ? Un coup de sirène salua l’énormité de son défi. Les yeux à fleur de l’eau il vit passer le navire, très haut devant lui. Les premières vagues le submergèrent et dispersèrent ses derniers joncs. Il s’était accroché à ce frêle esquif qui, depuis longtemps, ne le portait plus. Mais il voyait en lui son dernier lien avec la terre ferme. Le coup de sirène avait alerté les femmes qui, comprenant soudain, appelèrent à l’aide…
Mais Mat était loin, bien trop loin. Au milieu du chenal. Il avait franchi le chenal lorsque survint la deuxième péniche. Mat se retourna pour la regarder et affronter les vagues. Presque immobile, les poumons remplis d’air, expirant juste assez pour les remplir à nouveau, il flottait sans nager. Il n’avait plus peur. Mais le courant, encore fort au début de l’été, l’avait entrainé bien plus bas que son point de départ. La barque de son père, qu’il avait espéré rejoindre était à près de cent mètres en amont.
Les cris des deux femmes avaient fini par alerter quelques pêcheurs, dont son père qui, levant l’ancre
fonça vers lui à toutes rames. Mat était tout près de la berge lorsqu’il le repêcha. L’enfant s’attendait à être tancé d’importance. Il avait gardé le souvenir cuisant de quelques fessées reçues de ces mains énormes, façonnées par des années de travail manuel. Mais son père, d’ordinaire si sévère, le regardait comme amusé par le culot de son rejeton. « Alors tu sais nager maintenant ? » « Heu… oui » « Et bien, plonge ! » Mat hésita. Saisissant le regard de son père, il comprit l’invitation. L’enfant se dressa sur le bord de la barque et piqua, le nez vers l’eau... Il y eut soudain un grand flop, un énorme bouillon d’écumes à ses côtés. Son père l’avait rejoint...
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